les prêtres pathologiques

La figure du prêtre est une manière de vivre éminemment particulière, puisqu’elle consiste à prolonger dans notre époque le sacerdoce unique du Christ, médiateur entre Dieu et l’homme, sacrificateur et victime sur le bois de la croix.

La vie de prêtre comporte de nombreuses harmoniques : le service, le sacrifice, l’oubli de soi, l’ouverture à tout homme, la continence, l’obéissance, la pauvreté (les trois vertus évangéliques),… Il n’y a pas de prêtre sans Eglise. Le prêtre se donne à l’Eglise comme le mari à sa femme. L’Eglise choisit ceux qu’elle désire pour le sacerdoce, et alors il la paît, l’enseigne, la sert, et se sacrifie pour elle, comme le Christ l’a fait il y a deux mille ans. On pourrait dire que le prêtre épouse l’Eglise, mais ce n’est pas exact. En réalité, il épouse la croix du Christ. Jésus embrasse la croix dans un acte qui semble mener à la mort. Mais cette noce est en fait d’une fécondité proprement divine qui surpasse tout ce qui est humainement imaginable : le sang versé par Jésus va racheter  toute les hommes de l’aube de l’humanité à la fin des temps. Il y a donc refus d’une fécondité humaine pour le mystère d’une fécondité divine qui est oblation et habitation de la souffrance. C’est une union verticale, contrairement à l’union d’amour. Elle est figée, alors que l’acte d’amour est mouvement et lascivité. Il en naît une paternité spirituelle, qui dépasse la virilité naturelle. Le prêtre est appelé père car il a des enfants qu’il fait grandir spirituellement et qui sont sa famille, ceux pour qui il se dévoue.

En fait, tous les baptisés sont revêtus du sacerdoce du Christ, et sont donc appelés à vivre dans l’esprit saderdotal qui l’animait. Pour une personne qui travaille, qui est mariée et qui a des enfants , cela consiste à s’oublier pour sa famille, à offrir toute les difficultés du travail sur l’autel du Seigneur,à rayonner d’amour dans son foyer et en irradier son entourage, à vivre en famille dans une simplicité qui est autant pauvreté évangélique qu’anticipation de la résurrection, à accueillir l’épreuve dans la patience et la foi, …

Le sacerdoce commun ou ministériel, cette sublime et tragique façon de vivre, est parfois vécu sous le mode de la pathologie, surtout chez des gens qui ont vécu dans un environnement familial puissamment (lourdement?) catholique. Héritage du catholicisme étouffant que le Concile Vatican II a réformé par la motion puissante du Saint-Esprit. Ces personnes sont aussi bien des hommes que des femmes. Sans s’en rendre compte, ils ne recherchent que la souffrance et l’échec. Ils trouvent leur joie à se sacrifier pour leurs proches, et pourtant cela les fait souffrir. Cela est donc pénibles pour les proches. Ils s’oublient eux-mêmes, mais comme cet oubli de soi n’est pas recouvert par la résurrection du Christ, il est source de souffrance et suscite l’incompréhension des proches. A la limite, on peut dire que ces prêtres pathologiques se nient eux-mêmes pour que la vie des autres ait plus d’ampleur. Une perversion du sacrifice, puisque le Christ s’est affirmé à un point inouï, disant : « Le Père m’aime parce que je donne ma vie pour la reprendre ensuite. Personne ne peut me l’enlever. » Et cela se réalisera à la Passion : bien malin celui qui peut dire qui a réellement porté la responsabilité de mettre en croix le Fils du Dieu vivant. Le prêtre pathologique, pour en revenir à lui, se nie lui-même et appelle donc les autres à le nier. Il est un éternel « bouc émissaire », au sens le plus biblique. Il est celui qui recevra les coups de pied, qui ne se plaindra pas, qui dira que ça lui est égal, mais qui en réalité en souffrira incessamment. Il est l’homme qui ne cesse pas d’échouer, et qui se vautre morbidement dans son échec. La croix est l’échec absolu de l’homme et de Dieu : celui qui venait porter à l’humanité la bonne nouvelle du Royaume des cieux, qui a aimé son peuple à un degré infini et l’a guéri de tous ses maux, cet homme finit honni de tous et abandonné par ses disciples, sur une croix, après une nuit de souffrances atroces. La résurrection n’en a que plus de poids, et fonde le paradoxe qui doit habiter toute vie chrétienne. Mais quand l’échec n’est pas mystérieusement habité par la joie intérieure et la résurrection, il n’est qu’une caricature sinistre grimaçante, un contre-témoignage de l’Evangile. Les prêtres pathologiques sont des puits de souffrance, et font le vide autour d’eux. Dieu seul connaît la valeur de ces sacrifices, et la rédemption qui les attend.