Le rire de Jésus

Jésus riait-il? Voilà une question bien étrange, à laquelle beaucoup seraient tentés de répondre : « évidemment! »

Et pourtant… Si l’on lit le Rire de Bergson, on voit que le rire se distingue par trois caractéristiques qui ne garantissent en rien que Dieu fait homme ait ri comme tout un chacun. Les voici :

– le rire ne s’applique qu’à ce qui est spécifiquement humain
– le rire suppose une intelligence complètement coupée du coeur, des émotions
– le rire suppose une complicité avec autrui ou un groupe, qu’il soit réel ou imaginaire

Le premier point en fait pas difficulté : Jésus est pleinement homme, et rien de ce qui est humain ne lui est étranger. Le second point en revanche, est plus problématique. Peut-on imaginer que Jésus ait un seul instant de sa vie laissé ses émotions en retrait par rapport à son intelligence? Non, car en Jésus, toutes les facultés humaines étaient parfaitement unies. Il n’est pas imaginable que Jésus ait pu rire d’un homme qui titubait parce qu’en lui l’émotion et la pitié pour son frère ne pouvait pas être tus. Pour rire, il faut réellement que la sympathie (littéralement ‘souffrir avec’) disparaisse. Le troisième point est aussi rédhibitoire que le second. Avec quel homme Jésus aurait-il pu avoir une connivence pour rire de ce même homme qui titubait?  Dès lors qu’il aurait créé cette connivence, il aurait retranché de l’humanité l’objet de son rire. Il aurait scindé l’humanité en deux : ceux dont il a ri, et ceux avec qui il riait. Comme il est venu réconcilier l’homme avec l’homme, Jésus était dans l’impossibilité de rire. Et ce n’est pas une impossibilité morale, comme s’il s’était interdit de rire. Non, c’est une impossibilité ontologique, reliée à sa nature même de vrai Dieu et de vrai homme. Il ne pouvait pas rire parce que tout homme avait, et a toujours une place unique dans son coeur.